Un brin de nature au pied des immeubles parisiens

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Depuis la pandémie de coronavirus, les habitants des grandes villes cherchent à retrouver le contact avec la nature. Il y a ceux qui partent de Paris pour habiter à la campagne. Et puis il y a ceux qui cherchent simplement des moments d’évasion, au sein même de la capitale. En ce début de printemps, les habitants du 13ème arrondissement de Paris regagnent les jardins familiaux, où ils retrouvent un espace de nature et de bien-être.

En plein cœur de Paris, il suffit de franchir un portillon de bois pour découvrir un univers de verdure. À gauche, une blette s’épanouit au soleil. À droite, l’odeur d’une ciboulette en fleur trahit la présence d’un jardin aromatique. Chaque parcelle d’environ 3m2 est agencée selon les préférences de son propriétaire. Certains ont choisi d’ordonner leurs plantations avec des étiquettes botaniques, comme Marie-José, co-responsable du jardin familial Yacine Kateb. D’autres préfèrent laisser la nature reprendre ses droits dans un joyeux fouillis : “certains font plutôt des jardins à l’anglaise, si on peut dire” plaisante Philippe, retraité, qui jardinait jusqu’alors en Vendée. La personnalité de chaque jardinier amateur transparaît dans son petit coin potager.

Pour unique point commun : un amour et un soin incontestable apportés à chaque pousse. Règle du jardin oblige, puisque ceux qui n’entretiennent pas leur parcelle sont exclus. Pas si étonnant lorsque l’on apprend que Pierre a dû attendre dix ans pour obtenir la sienne.

Au chant des moineaux et des étourneaux se substitue le vacarme d’un aspirateur. En levant les yeux à la recherche de ce curieux oiseau, on découvre les grands immeubles du 13ème arrondissement de Paris. Le jardin est entouré d’habitations urbaines. Infrastructures modernes grisâtres et bâtisses plus anciennes entourent ce jardin secret, invisible depuis la chaussée. Seuls les riverains les plus proches auront pu découvrir par hasard ce repère d’amateurs de jardinage. D’ailleurs, c’est bien à leur usage que sont destinés les espaces de l’association Jardins Familiaux.

Tout autour de nous, des plants bien verts s’élèvent de terre. Des vignes enlacent leur structure boisée avec ferveur : “On a du raisin qui pousse, mais c’est surtout les oiseaux qui le mangent, on est loin de faire une bouteille !” lance Pierre. Souriant, et peut-être un peu jaloux, il nous montre d’un geste de la main une blette presque royale qui pourrait rivaliser dans un concours de légumes géants. Quand on lui demande si c’est sa production, il précise : “Non c’est pas la mienne, c’est une vieille dame polonaise qui réussit cet exploit”. C’est bien l’esprit de camaraderie qui réunit les locataires du jardin chaque premier samedi du mois à l’occasion d’un pique-nique partagé au milieu des iris cultivées par les élèves d’une école voisine.

©JohannaWitz ©LénaCouffin

Il faut cultiver notre jardin

Pour mettre en lumière ce tableau bucolique, le soleil printanier invite les insectes à sortir de leurs cachettes. Une mouche badine sur une clôture tandis qu’une abeille se régale d’une fleur violette non identifiée. Mais ce n’est pas parce qu’on est en ville, qu’il n’y a pas de parasites. Face à l’interdiction d’utiliser des produits chimiques, Marie-José a sa solution : « J’ai fais macérer de la rhubarbe pendant plusieurs heures et ça a bien fonctionné contre les moucherons, c’est Pierre qui m’a donné l’astuce ». L’idée d’échange et de liens sociaux est bien au cœur du projet des jardins de la Fédération Nationale des Jardins Familiaux. Le compost par exemple, tout comme les outils rangés dans la cabane, sont partagés par tous les locataires. Mettre à disposition un petit lopin de terre aux habitants contre les frais de cotisation et d’eau, c’est donner l’occasion à des voisins de se rencontrer dans un cadre agréable : « Parfois les passants nous demandent si on vend des légumes, alors on dit que non, mais on offre une branche de romarin ou un peu de menthe » raconte Philippe.

Deux ans après les confinements liés à l’épidémie de coronavirus, les citadins qui n’ont pas eu l’opportunité de quitter la capitale pour une maison de campagne apprécient à sa juste valeur ces espaces de respiration. Les demandes d’adhésion à l’association ont d’ailleurs doublées, comme nous le confirme Marie-José.

La langue française même annonce les bienfaits du jardinage : garder les pieds sur terre, retrouver son ancrage dans le sol et renouer avec ses racines… Les jardins permettent de quitter l’enfermement d’un logement ou de bureaux pour retrouver le contact de la terre, le goût de la patience et pour se mettre au rythme lent de la nature. Le jardinage apaise les angoisses, repose les yeux fatigués par les écrans et les lumières artificielles et aide au bien-être. Une étude menée par l’université de Bristol en 2017 affirme que la sérotonine renfermée par les bactéries naturellement présentes dans la terre aiderait à lutter contre le stress et la dépression de manière plus efficace que les antidépresseurs. « On se vide l’esprit et puis c’est gratifiant, on a des résultats et quand on a les mains dans la terre, on ne pense plus à rien » admet Pierre, directeur marketing dans l’agroalimentaire.

Le jardinage physique aide aussi à fleurir le mental : il apprend de riches enseignements tels la patience, l’investissement et l’apprentissage d’un nouveau savoir indispensable à de belles récoltes.

©JohannaWitz ©LénaCouffin

Les jardins familiaux au service de la société

Mais le bien-être mental était bien loin des préoccupations premières de ces jardins. Fondée il y a de cela 120 ans, la Fédération Nationale des Jardins Familiaux a été réquisitionnée pendant les deux guerres mondiales par le Ministère de l’agriculture. Les espaces qui étaient jusque là “mis à la disposition des chefs de famille pour y cultiver des légumes”, devaient servir au ravitaillement de la ville et lutter contre les pénuries alimentaires.

Plus tard, dans les années 1970, cette indispensable utilité est relayée au second plan par les Trente Glorieuses. Le nombre de parcelles a été diminué au profit du développement économique. C’est seulement à partir des années 1990 que la tendance s’inverse et que les demandes explosent. Le besoin alimentaire perdure, mais le rôle principal touche davantage au bien-être de l’esprit qu’à celui de la bouche.

Des préoccupations nouvelles viennent enrichir ce terreau fertile : manger plus sainement, l’agriculture locale, le lien social, l’activité physique, l’envie d’un mode de vie plus slow… Bien plus que de simples espaces de verdure, les jardins partagés sont révélateurs des préoccupations de la société qui les entoure. Encore la preuve que même dans une ville surpeuplée où règne l’urbanisation et les contraintes de productivité, la nature sait reprendre ses droits…

© Texte et photographies de Léna Couffin et Johanna Witz

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