Actrice et productrice de films X, Erika Lust milite pour l’éducation sexuelle des jeunes.
Erika Lust a fondé “Porn Conversation”. La plateforme gratuite met à la disposition des parents et éducateurs, des outils didactiques destinés à l’éducation sexuelle.
Dix ans. C’est l’âge moyen de la première exposition des jeunes à la pornographie. Cette précocité inquiète aussi bien les autorités que les familles, confrontées de plein fouet à l’épineuse question de l’éducation sexuelle.
En libre-service sur Internet, les contenus pornographiques sont facilement accessibles aux mineurs. Ils sont 91% de ces jeunes consommateurs à y accéder via un smartphone. Ce qui rend la question de l’éducation sexuelle urgente. D’autant que c’est encore sur Internet que la jeunesse a tendance à aller chercher les réponses aux questions qu’elle se pose sur la sexualité. Un sujet casse-tête pour de nombreux parents. Gênés, démunis, ils ne savent pas souvent par quel bout aborder la question.
La loi française s’en est emparée en imposant depuis 2001, trois heures d’éducation sexuelle par an dans les lycées et collèges. Une mesure difficile à concrétiser. « Il n’y a pas d’heure dédiée, ce n’est pas dans les programmes. Les enseignants ne sont pas formés à ces problématiques, donc ça ne se met pas en place », déplore une enseignante de la ville de Nantes au micro de Europe 1. « Je suis professeur de sciences de la vie et de la terre, mais là, je ne suis pas du tout dans ma casquette de prof de SVT », confie Lise Bailly à nos confrères de Europe 1. Pour dispenser le cours d’éducation sexuelle à sa classe de Terminale, l’enseignante a dû se former pendant ses vacances, sur son temps personnel nous apprend la radio.
En parler le plus tôt possible
Pour Erika Lust, les familles sont le maillon essentiel de l’éducation sexuelle. C’est à la maison, bien avant l’entrée au lycée, qu’elle doit se construire, autour de la parole. Maman d’adolescentes, de douze et quinze ans, la suédoise pense que l’éducation à la sexualité doit commencer “le plus tôt possible”, en même temps que l’apprentissage du langage. “ça doit se faire dès le début et de façon naturelle. (…) Au moment où on apprend aux enfants à dire les mots : nez, bouche, pénis, vulve, vagin, clitoris, etc. Vous leur enseignez ces mots en même temps que leur corps.” conseille la réalisatrice. C’est pendant cette période que l’enfant commence à découvrir le plaisir et explorer son anatomie. Il se touche souvent. Dans ce cas, il ne faut surtout pas le gronder, comme auraient tendance à faire beaucoup de parents.
“Ne fais pas ça, ne va pas là-bas !” : Mauvaise réaction, d’après Erika Lust pour qui “c’est une sorte d’humiliation, c’est du “sexual shaming”. Ce sont de jeunes enfants et leur première compréhension des choses reliées à leur corps sera qu’ils ont fait quelque chose d’interdit, (…) de mauvais”. L’attitude conseillée par Erika Lust : parler, plutôt, chuchoter doucement à l’oreille du petit bout de chou : “Je sais que ça t’apporte du plaisir mais il ne faut pas le faire au salon, devant les gens. C’est quelque chose d’intime, que tu dois faire dans ta chambre, dans ton espace”. De telles paroles ne font pas que rassurer l’enfant. Elles lui donnent également des clés et un contexte.
Parler ou pas du porno aux enfants ?
Pour la réalisatrice, la question ne se pose même pas. L’activiste du porno équitable regrette que le nouveau business modèle de l’industrie de la pornographie facilite l’exposition des mineurs aux contenus X. La puissance médiatique du porno, l’accès gratuit aux sites ne laissent pas d’autres choix aux parents : il faut passer outre les tabous et la gêne. “C’est aujourd’hui une conversation absolument nécessaire” martèle Erika Lust. Le porno ne peut pas être détaché de l’éducation sexuelle. D’autant que les contenus à caractère pornographiques envoient des messages négatifs et biaisés de la sexualité.
Mais alors, comment l’aborder ? “C’est très important d’expliquer aux jeunes que le porno existe, mais qu’il est réservé aux adultes. Tout comme les films d’horreur, ce n’est pas fait pour les enfants” conseille la productrice. En parler oui, lui en donner accès ? “Non. Pas avant 18 ans” répond sans hésitation Erika Lust. “Je peux parler de l’alcool à mon enfant mais je ne lui en donnerais pas. C’est pareil pour le porno”.
Il faut surtout en parler pour fournir aux jeunes des clés de lecture : “Il est important qu’ils comprennent que le porno c’est de la fiction”. Les traits y sont exagérés, informe Patricia Lust en singeant, bras en l’air, un gémissement de plaisir.
La fondatrice de « The Porn Conversation » soutient que bien informés, les enfants savent que la réalité est différente.
Une fois les clés en main et la majorité atteinte, les jeunes sont en mesure de comprendre et de critiquer ce que leur proposent les films X. “Ça peut être intéressant pour les 18 et plus, de regarder le porno éthique”.
Ce type de porno d’après Erika Lust, offre au jeune public le lieu d’observer et interroger les diversités et la complexité de la sexualité, les interactions entre différents corps, la notion de consentement, leurs propres ressentis, etc.
La prévention pour protéger les enfants contre d’éventuelles condamnations
Erika Lust pense qu’au-delà de la sensibilisation, l’éducation sexuelle protège les enfants “Aujourd’hui, le porno est facile à fabriquer et à diffuser. Nous avons tous un téléphone portable avec caméras. Nous devons savoir que si nous recevons par exemple des photos à caractère sexuel, ou sexy, c’est privé. C’est pour nos seuls yeux. Si tu commences à les montrer à tes amis, alors tu t’impliques dans la pédo pornographie. C’est une information que les jeunes doivent absolument avoir. C’est tellement facile d’avoir des ennuis si on ne le sait pas. En tant que parents nous devons préparer nos enfants, les guider dans le monde” conclue la créatrice du “Porn Conversation”
Yvonne Monkam