L’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans le 93 est de moins en moins accessible. Une conséquence directe des regroupements des hôpitaux du département.
D’après un rapport de l’Observatoire Régionale de Santé (ORS) Ile-de-France publié en janvier 2019, les disparités infrarégionales quant à l’IVG sont très marquées. La Seine-Saint-Denis en est le reflet. Dans ce département qui concentre la plus importante demande en IVG de la région, l’offre de soins en ville reste trop peu fournie. En 2017, derniers chiffres en date, il existe environ cinq médecins pour 1 000 IVG réalisées chez les Séquano-Dionysiennes, contre près de 18 médecins chez les Parisiennes. En conséquence, le rapport indique que la Seine-Saint-Denis présente le taux le plus élevé d’IVG tardives, 7% d’entre elles sont réalisées après 12 semaines aménorrhées. Pourtant en comparaison avec certains départements, comme les Yvelines, force est de constater que la Seine-Saint-Denis est mieux dotée.
L’hôpital ne se fout pas de la charité
En effet Anne-Elisabeth Mazel, médecin en centre d’IVG à l’hôpital Avicenne de Bobigny, estime que la Seine Saint Denis est « relativement bien pourvu » avec « de nombreuses aides et un bon maillage de plannings familiaux et centres de protection maternelle et infantile ». En ce sens, le rapport indique que le 93 rassemble le plus grand nombre de centres de santé et plannings familiaux ayant effectués au moins une IVG dans l’année. Néanmoins, la part des avortements uniquement médicamenteux accomplis dans lesdits centres reste faible : seulement 50 sur 1 000. Pas surprenant quand on sait que dans la région, les femmes franciliennes ont encore recours aux hôpitaux pour 67% des IVG.
« Le problème est davantage sociologique ici, explique Bobette Matulonga, auteure du rapport. Il s’agit d’un département pauvre avec beaucoup d’immigrés. Certaines femmes ont difficilement accès aux soins par manque d’information, absence de couverture santé ou encore barrière de la langue. Cela concerne les soins en général et non spécifiquement l’IVG. » En Seine-Saint-Denis, l’hôpital reste donc un lieu privilégié puisqu’il est le seul à pouvoir prendre en charge des femmes sans couverture sociale. « L’hôpital est tout de même cet acteur bien identifié, ce lieu ouvert à tous, qui ne ferme la porte à personne », souligne Anne-Elisabeth Mazel.
« Garder les structures ouvertes, ce n’est pas gagné »
Cependant comme en témoigne la crise de l’hôpital public actuelle, l’offre hospitalière a tendance à se réduire. D’une manière générale, le rapport de l’ORS décrit une réduction du nombre d’établissements de santé pratiquant des IVG en trois ans dans la région. Une diminution qui touche particulièrement la Seine-Saint-Denis, avec trois établissements de moins en quatre ans. Un chiffre qui comprend les fermetures et groupements qui sévissent dans le département. « C’est la grande mode des pôles de santé alors on regroupe. Les services d’IVG passent toujours à la trappe dans ces restructurations et sont absorbés dans les pôles maternité alors que ce n’est clairement pas leur objectif. Garder les structures ouvertes déjà, ce n’est pas gagné ! », déplore le Dr. Mazel.
Pour sa part, l’Agence Régionale de Santé affirme rester « très vigilante à ce que les regroupements d’établissements, dans le cadre de directions communes, ou dans le cadre des créations de groupes hospitaliers de territoires (GHT) ne s’accompagnent pas d’une réduction des sites pratiquant l’IVG ». Reste que pour la praticienne, ces groupements hospitaliers ne répondent qu’à une « logique comptable » et constituent une menace sérieuse pour la survie de certains services tel que l’orthogénie. Ironie du sort, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, promettait le 31 octobre dernier, une « restructuration du centre hospitalier de Bobigny (Avicenne) d’ici à 2024 ».
Regroupement, la goutte d’eau qui fait déborder le vase
Pour cause, depuis 2017, l’hôpital Avicenne au commande du groupe hospitalier Hôpitaux Universitaires Paris Seine-Saint-Denis se voit affecter progressivement les services de l’hôpital Jean-Verdier à Bondy. Jusqu’à quand l’établissement pourra-t-il continuer d’absorber ? « À présent, ils veulent rapatrier la maternité Jean Verdier à Avicenne et fusionner notre unité dans le pôle, explique Anne-Elisabeth Mazel. Cela risque de faire complètement baisser la qualité des soins puisque nous n’aurons plus de personnel dédié précisément à l’avortement. Personnellement, je pense que dans un service comme celui-ci, il ne faut pas forcer les gens à être là, il faut des volontaires. » De surcroît, les délais d’attente pour obtenir un avortement risquent de s’allonger davantage.
Si le Dr. Mazel avance le problème de méconnaissances des symptômes de grossesse chez nombre de jeunes femmes, elle admet qu’à Avicenne, certaines périodes sont déjà plus tendues que d’autres : « Par exemple, en ce moment, les prochaines dates d’anesthésie générale que je peux annoncer à des patientes sont dans trois semaines. Ce n’est pas optimal… ». Interrogée sur le sujet, le Dr. Bobette Matulonga estime que les manquements hospitaliers seront compensés par les cabinets privés. « Ce n’est pas forcément une mauvaise chose car cela signifie une proximité géographique avec les patients », complète-t-elle. Cependant, la praticienne rappelle tout de même que l’Etat n’a aucune main sur le privé.
Cela reviendrait donc à prendre le risque de compter sur des cabinets dits « libéraux » pour assurer la pratique de l’avortement, droit fondamental des femmes. De plus, ces cabinets ne sont pas assez nombreux pour répondre à la forte demande et il n’est pas certain qu’ils soient en capacité de prendre en charge la sécurité sociale, voire des femmes n’ayant aucune couverture santé.
Ecrit avec Margaux Boscagli